Léocadie est très affaiblie en dépit de ce qu’elle peut paraître quand on la voit assise. En effet, elle se lève avec d’énormes difficultés, ne peut faire que quelques pas dans la petite enceinte de son logis. Elle ne quitte jamais cette parcelle, elle n’a pas de force pour se promener, ne serait-ce qu’un petit peu. Mais il lui reste tout de même un peu de mémoire… et beaucoup de chagrins qu’elle tente bravement de ne pas trop manifester.
 
Léocadie vit avec une petite nièce qui a eu un enfant, un petit garçon qui met de la vie autour des derniers temps de la vieille dame. Léocadie n’est pas très bien traitée par sa petite nièce. L’association tente de faire en sorte que les messages de sensibilisation du gouvernement passent au sein de cette famille (il s’agit d’une campagne d’information pour respecter les personnes âgées et ne pas les maltraiter).
 
Nous nous sommes informés pour savoir si le parrainage avait induit la négligence familiale ou l’avait modifiée, mais il semble que celle-ci existait bien avant notre présence. Nous considérons que les visites à Léocadie, tous les trois mois, sont une protection pour elle, et nos visites sont terriblement appréciées.
 
Notre représentant local nous écrivait en 2012 : « Léocadie est peut-être la plus fragile de toutes les mamies de Rwanda Main dans la Main. Elle donne le sentiment de vouloir se confier sans y arriver, et le fait qu’elle ne soit pas en mesure de faire quelques pas pour quitter la maison, la parcelle, l’enclos, est un handicap qui lui pèse. Mais elle reste assez philosophe… ou résignée ».
 
Léocadie Kabarenzi : Léocadie vivait en 1994 au Bugesera, dans le secteur Nyamata précisément, au lieu-dit Nyiramatunda. Elle était déjà veuve à l’époque du génocide, son mari étant décédé d’une maladie peu avant le début des massacres.
 
Elle et son mari faisaient partie des déportés de Ruhengeri à Nyamata (1959-1963), lors des incendies des demeures des Tutsi, nous dit-elle. Avant cette déportation, elle habitait avec son mari au lieu-dit Mbogo, dans la région de Ruhengeri. Elle dit être originaire de Muramba chez le chef Rwabukamba, dans ce qui fut plus tard la commune Cyabingo. Elle est effectivement née à Ruhengeri, sous le règne de Yuhi V Musinga. Elle assure avoir plus de 90 ans, sa carte d’identité indiquant qu’elle est née en 1924. Elle se souvient de la tournée d’intronisation dans sa région du roi Mutara Rudahigwa en 1931. Elle était alors une adolescente et accourait avec les autres enfants regarder le roi en suivant les tambours qui accueillaient ce dernier.
 
Lors de la déportation de sa famille, elle avait trois enfants, deux filles et un garçon. Son premier né était mort jeune. Elle n’a plus eu d’enfants dans la terre d’exil du Bugesera. Elle pense que c’est parce que les gens qui les avaient chassés avaient également pillé leurs biens et avaient emporté dans une malle en bois la peau de mouton dans laquelle elle portait ses enfants [ceci est dû à une croyance superstitieuse des Rwandais, selon notre correspondant local Vénuste Kayimahe].
 
Tous ses enfants ont été tués, les filles au Bugesera, le garçon à Kigali où il habitait.
 
Elle s’est mariée à l’église de Rwaza, dans ce qui n’était pas encore la préfecture de Ruhengeri.
 
Elle se souvient comment les Hutu venaient et demandaient à tout le monde de sortir de la maison avant de la piller et de l’incendier. Ils vérifiaient bien qu’il ne restait personne dedans.
 
« Mais ils ne vous laissaient absolument rien. Même les vaches, car c’est à partir de ce moment-là qu’ils commencèrent à manger les vaches des Tutsi. Chez nous, ils ne nous tuaient pas, ils ne tuaient que celui qui tentait de résister… Ils prenaient même les nattes figurez-vous !… Les Hutu se hélaient de collines en collines pour s’informer si tous les Tutsi avaient quitté les villages. Quand quelqu’un était toujours là, ils se demandaient entre eux pourquoi il ne s’en allait pas. Parfois, c’était parce que la famille ne pouvait pas quitter la région saine et sauve car ailleurs, dans d’autres villages plus loin, on massacrait les Tutsi. Alors ils l’accompagnaient pour le protéger, jusqu’à le confier à ces Blancs qui nous emmenaient… Ils nous accompagnèrent donc et arrivés au lieu-dit Cyiryi, nous tombâmes sur des militaires congolais. Moi, je marchais appuyée sur un bâton, et ils me sommèrent de le jeter par terre. Ils m’obligèrent donc à abandonner là mon bâton. Et puis les Blancs sont venus là nous chercher et nous ont emmenés. A Nyamata, ils nous mirent dans un très large hangar où tout le monde couchait ensemble par terre, la tête des uns reposant sur les jambes des autres. C’est comme ça je pense que j’ai attrapé mes douleurs aux pieds. Le lendemain, ils nous donnèrent des couvertures et puis des vivres. Des haricots qui ne cuisaient pas. Nous restions des heures à les faire cuire avec du bois vert qui fumait trop et c’est peut-être à cause de ça que mes yeux me font toujours mal. Le bois vert qui nous servait pour la cuisson, c’était aussi les Blancs qui nous le fournissaient. Ces Blancs qui nous donnaient tout cela avaient tout préparé longtemps à l’avance. Nous n’étions pas très loin de la rivière, nous allions tout le temps puiser de l’eau. Nous ne recevions rien d’autre que ces haricots qui ne cuisaient pas et de l’huile de palme. Mais la faim est quelque chose d’étrange : nous les mangions mal cuits mais les trouvions bons ! Ah, ce ventre, le ventre des humains ! C’est cela la cause de tout ce qui est arrivé, de tous les malheurs des hommes ».
 
Elle raconte que ce sont des Blancs qui venaient chercher dans leurs véhicules les bannis qu’ils emmenaient jusqu’à la Nyabarongo, au lieu-dit Ku Cyuru, et d’autres véhicules arrivaient de l’autre rive, et les conduisaient au Bugesera.
 
Longtemps après, des terres à cultiver leur furent données. On leur construisit des maisons et même on leur donna des semences.
 
« C’était des Blancs qui nous donnaient cela. Les hommes taillaient la forêt, débroussaillaient, les femmes défrichaient, on labourait et on plantait, et on faisait aussi de l’élevage. Nous vécûmes longtemps ainsi et dernièrement là [durant le génocide de 1994], ils recommencèrent à tuer… Enfants, mari, plus rien… Je restai seule, toute seule, cachée dans les papyrus autour de la rivière [Nyabarongo]. C’était dans un lieu appelé Kayenzi. Là, tu trouvais énormément de cadavres étalés dans les papyrus. Alors ils massacraient continuellement des gens dans les papyrus. J’entendais les victimes demander grâce, en vain. Je m’attendais à tout instant à être découverte et massacrée à mon tour. Mais ils ne m’ont jamais découverte, Dieu a continué à me protéger. Pour finir, les Inkotanyi [soldats du Front patriotique rwandais] ont libéré le coin et nous sommes sortis de là. Mais nous avions bu l’eau de ces marais mélangée au sang des gens qui y étaient sans cesse découpés à la machette ».
 
Elle a eu quatre enfants dont le premier est mort en bas-âge. Les trois enfants étaient un garçon et deux filles.
 
Au sortir du génocide, elle a appris que deux filles de sa grande sœur, qui travaillaient auparavant à Kigali, avaient survécu. Celles-ci l’ont récupérée et amenée à Kigali où elles lui trouvèrent un logement en location. Un peu plus tard, l’une des deux est morte. Et c’était elle qui travaillait et lui payait le loyer. L’autre nièce vivait avec un étranger qui fut déclaré indésirable au Rwanda et qui s’en alla chez lui avec la fille. Puis la fille mourut là-bas, à l’étranger. « Et entre temps, le prix de mon loyer fut augmenté à 15.000 Frw [Francs rwandais]… Le compagnon de la fille, chez lui c’était très loin à l’étranger, il paraît que l’avion faisait deux jours de vol pour y arriver ».
 
Léocadie a totalement délaissé sa terre du Bugesera. Elle ne sait même pas ce qu’elle est devenue, elle pense que quelqu’un d’étranger à la famille se l’est appropriée, mais elle affirme ne pas s’en soucier. Elle se trouve trop vieille et sans force pour courir derrière une terre qui ne lui servira à rien et qu’elle ne léguera à personne.
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